Ça fait quoi ? Du vert ?
Hélas non, le jaune d’aujourd’hui ne se marie pas au bleu, dans l’espoir d’un monde plus vert, plus écologique, plus… vivable. En revanche, le rouge d’une colère restée longtemps sourde aurait pu se voir. Et surement s’entendre si seulement « l’on » avait tendu l’oreille.
Une terre dure comme le sont parfois les hommes d’ici
Les Vosges sont devenues peu à peu un territoire essentiellement touristique. Une grande aire d’espaces naturels, lézardée de sentiers de randonnées, de points de vue essentiels aux selfies et de jolis chalets de locations en bois. Les Vosges, terre textile, n’est quasiment plus. Elle essaye bien, et réussi çà et là, de survivre. Mais dans l’ensemble le « boulot » ne court plus les rues. Quelques entreprises tournent encore dans le massif, mais jusqu’à quand ?
Aujourd’hui, travailler ne se fait pas en traversant la rue dans les Vosges. Ou si peu souvent. Depuis des dizaines d’années, nombreux sont les Vosgiens·ne·s qui « traversent » en réalité au moins un col pour atteindre la terre promise. Entendez le bassin d’emploi de l’Alsace voisine. D’autres, plus chanceux, car moins souvent soumis aux routes bloquées par la neige, se dirigent journellement vers le sillon lorrain. Mais entre les deux (dans le massif), les emplois se meurent. Dans ce territoire, ce que conte « aux animaux, la guerre » de Nicolas Mathieu est une réalité.
L’espoir ici est (presque) mort. L’espoir d’une vie meilleure, l’espoir d’une vie plus calme. Plus facile aussi. Loin des clichés de la communication touristique. Du vert et de la tradition, de la neige et des soirées devant le feu de bois. Les Vosges, Mes Vosges, sont de plus en plus une terre difficile. Dure comme le sont parfois les hommes et les femmes d’ici. Angoissante aussi.
Le jaune quand seules les palettes brûlent
Que faire sans voiture ? Il n’y a plus de train depuis fort, fort, fort longtemps. À la place des rails : une piste cyclable. Prendre un bus multiplie le temps de trajets par deux. Et encore, quand il existe un bus au bon horaire… pour le bon endroit. Que faire alors sans voiture lorsqu’il faut parcourir des kilomètres pour accéder au moindre service public ? Que faire sans voiture au moment même où l’on parle de restructuration des hôpitaux vosgiens ? Que faire sans voiture alors que les quelques lignes SNCF qui restent sont menacées de fermetures ? Que faire dans ce territoire-là, vert, si vert, mais dont il ne reste que les serpents de bitume pour relier au monde ?
Qu’a-t-il vu Emmanuel Macron de ce désespoir-là qui s’inscrit dans la terre lorsqu’il a foulé (du pneu) au printemps les ronds-points aujourd’hui occupé ? Qu’a-t-il compris de tout cela lorsqu’il est venu débattre de l’Europe dans un territoire où trouver un travail, pas trop loin ou alors suffisamment payé pour pouvoir s’y rendre relève d’une gageure. Qu’a-t-il saisi du désespoir de ces gens, attachés à leur terre, à leur maison, à leur région pourtant sinistrée ? En a-t-il saisi seulement une once de ce désespoir-là qui fait dire à tant et tant de gilets jaunes d’aujourd’hui, qu’après tout, en banlieue, ils cassent bien pour obtenir quelque chose… ici, au moins, seules les palettes brûlent… Alors que les hommes désespèrent.
Je ne soutiens pas vraiment le mouvement des gilets jaunes. Pour plusieurs raisons peu explicables en quelques mots et dont d’ailleurs tout le monde se fout. Mais je vis ici, dans cette France « périphérique » à laquelle il faudrait d’ailleurs bien trouver un autre nom… France « perdue » ?