Il était là il y a déjà presque 18 ans, à mon emménagement dans cette maison. Voisin, vivant seul dans un logement fourni par un bailleur public. Voisin seul, veuf, mais recevant la visite de son « amie ». Régulièrement, nous pouvions le voir passer sur le chemin bordant la pelouse alors qu’il se rendait au cimetière. Toujours il disait bonjour. Toujours nous lui répondions. Du moins lorsque nous étions dehors. Au printemps, en été et au début de l’automne. Et puis l’hiver venait et au printemps suivant, nous le retrouvions, inlassable passant sur ce chemin.
Et puis est venu le 16e hiver, qui fut suivi du 17e printemps. Et lui, comme d’habitude, il est revenu. Un temps. Le temps long de ses pas précautionneux sur le sentier qui le menait au cimetière, à son premier amour déposé là. Mais un temps seulement. Jusqu’à ce qu’il disparaisse. Quand est-il parti ? Je ne sais pas. Et c’est ce qui est le plus dérangeant, ce voisin qui disparaît, un jour, on ne sait quand, et qui ne laisse au fond qu’une évidence : il n’est plus là.
Proprement, et encore totalement incompréhensible pour moi, fille de la campagne, élevée dans un quartier (une rue en fait) où tout le monde se connaissait. Où la vie de chaque voisin faisait celle des autres. Où les vaches de la ferme voisine nourrissaient de leur lait tous les enfants du quartier (et Benoit Duteurtre n’a peut-être pas connu ces temps où les vaches mettaient bas et que le lait devenait proprement imbuvable tellement son odeur arrachait le cœur au réveil, devant le chocolat matinal). Où le tracteur du voisin forestier rythmait les journées : matin, soir, matin… Où, lorsqu’un voisin traversait une période sombre, tout le quartier se resserrait autour de lui, à l’image d’une famille non pas guidée par des liens du sang, juste par les liens de la vie…
Incompréhensible, mais tellement symptomatique d’une époque. Telle est la disparition silencieuse de mon voisin…