La première chose que l’on remarque, ce sont les cheveux blancs qui dépassent sur le côté du fauteuil. Une masse mousseuse, des blancs en neige si blancs que l’on dirait un nuage d’été dans un ciel azur. Et nous* viendrait presque l’envie d’y passer les doigts comme lorsque l’on rêvait, enfant, de toucher la brume pour en éprouver la douceur.
Vient ensuite la voix, aigrelette, chevrotante, fluette : « Vous allez bientôt me ramener ? » Alors on remarque les mains, brunes, ridées, frêles, comme posées par mégarde sur les accoudoirs. Et l’on se souvient de sa propre grand-mère, celle que l’on allait voir tous les dimanches lorsque l’on était petite. Celle qui nous accueillait toujours en tenant dans ses mains frêles, ridées et brunes, des bonbons à la violette.
« Non, certainement pas, à votre âge vous n’avez plus rien qui presse de toute façon » On regarde : a-t-on mal compris ? Non, d’ailleurs le brancardier sourit et nous fait un clin d’œil de connivence en tentant de garer au mieux, dans ce couloir froid, le lit sur lequel on git provisoirement. Et avant qu’on ait trouvé à lui répondre, il a déjà déposé le dossier à nos pieds et tourné les talons « à tout à l’heure ».
Et c’est là qu’un grand vide se fait en nous. D’une part parce que l’on se rend compte que même avec sans doute 40 ans de différence en notre faveur, nous sommes rendues à la même bonne grâce d’un personnel que notre voisine de couloir d’hopital. Et d’autre part parce que l’on aurait voulu, à défaut de pouvoir empoigner nous même le fauteuil, au moins trouver les mots pour que grand-mère à la violette soit raccompagnée dans sa chambre au plus vite.
Maltraitance ordinaire qu’ils disaient…
*(Oui, la rédactrice se prend pour Delon parfois, mais ça c’était avant…)