Nous sommes tous des chevaux roumains

Être cheval en Roumanie au 21e siècle

Hector, le cheval, vivait sa vie paisiblement. Là-bas, dans son « pays de l’Est », lui et ses congénères avaient une véritable utilité. Hector, comme les autres, aidait les hommes à se déplacer. Toute la journée sur les routes, il tirait des voitures où s’entassait l’humain. Pour que celui-ci gagne du temps, pour que celui-ci ne se fatigue pas… Et, le soir, il rentrait fourbu dans son écurie pour savourer le foin qu’il avait durement gagné.

Oh, il savait bien que ses cousins de l’ouest étaient mieux considérés ! Il savait que là-bas, d’animal utile, son statut serait passé à animal quasi sacré. Il savait (pour l’avoir entendu de la bouche de l’humain) que là-bas, les chevaux servaient à l’amusement. Amusement des enfants dans des manèges. Amusement des adultes sur des hippodromes où il aurait rapporté bien plus à son propriétaire. Il ne savait pas par contre que la mort d’un cheval prénommé Ourasi, pouvait faire la une des journaux. Il ne se l’imaginait même pas. De toute façon, il ne cherchait pas la reconnaissance. Sa vie à lui, c’était de tirer les charrettes pour pouvoir le soir déguster son foin dans la chaleur de son écurie…

 

Life in Svatá Helena, czech village in by abejorro34, on Flickr
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Mais, un jour, son pays eut envie d’intégrer l’occident. Hector trouvait cela bien. Peut-être même allait-il devenir une source d’amusement lui aussi. Mais en occident, les chevaux ne tirent pas des charettes. Les humains se déplacent en cheval mécanique et cela s’appelle le progrès technologique. Et dans son pays, les humains voulait eux aussi leur part de progrès. Alors, on remplaça Hector par Dacia.  Mais là où le pouvoir d’achat atteint à peine 47 % de la moyenne européenne, l’amusement n’est pas la priorité. Hector n’avait donc plus d’utilité. Même pas celui d’amuser les enfants. Même en réduisant sa ration de foin, il coutait à présent plus qu’il ne rapportait. Alors, comme toute chose inutile, Hector se retrouva oublié, éliminé, broyé…

Et c’est ainsi qu’il rejoignit l’occident, où il n’eut même pas la reconnaissance que l’on donne habituellement à ses pairs. Même si sa mort fit les gros titres des journaux à postériori. Parce que de cheval Hector, il était devenu bœuf à lasagne…

 

Être travailleur dans le monde au 21e siècle

Djamal  C., l’ouvrier, vivait sa vie paisiblement. Il était un travailleur et dans son pays la France, il avait une véritable utilité. Comme des millions de ses compatriotes, Djamal se levait le matin pour accomplir les tâches que son patron lui demandait d’accomplir. Et, le soir, il rentrait fourbu dans son foyer, pour profiter enfin de l’écran plat qu’il avait si durement acquis.

Oh, il savait bien que certains humains étaient mieux considérés ! Que ceux-ci étaient reconnus comme hommes et femmes célèbres ou faisant partie du Grand Capital. Que pour eux, un écran plat ne signifiait que quelques minutes (secondes ?) de travail ! Djamal savait également que la mort de l’un d’eux (qu’il se nomme Steve Jobs ou Witney Houston) faisait la une des journaux pendant plusieurs jours. Mais il s’en moquait, il ne cherchait pas la reconnaissance. Sa vie à lui, c’était de travailler pour pouvoir se nourrir, nourrir sa famille et éventuellement (soyons fous !) consommer de l’écran plat, de l’iPhone et autre merveille technologique le soir au chaud dans son foyer…

 

Charette d’antan by oliv_38, on Flickr
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Mais un jour, mondialisation ou mauvaise gestion, le Grand Capital décida qu’il n’avait plus besoin de lui. Comme ses confrères ex-Mital, ex-Peugeot, ex-travailleurs tout court, Djamal dut s’inscrire à Pôle Emploi. Djamal n’avait plus d’utilité, alors il voulait qu’on lui en retrouve une. Et, qu’en attendant, si possible, on l’aide à vivre. Mais même en l’indemnisant moins que son salaire précédent, il coutait plus qu’il ne rapportait. On lui refusa alors de quoi se nourrir sous prétexte qu’il avait fraudé. Cela aurait été la même chose s’il avait raté un rendez-vous. Ou s’il avait refusé une offre raisonnable. Ou s’il…  Djamal, comme des millions d’autres, fut oublié, éliminé, broyé…

Sa mort exceptionnelle fit tout de même les gros titres de la presse pendant quelques jours. Mais sans véritable reconnaissance : son nom ne fut pratiquement jamais cité. Et l’on parla du geste fou d’un chômeur. Parce que de Djamal le travailleur, il était devenu chômeur en fin de droit…

 

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